jeudi 6 avril 2017

« Le mot, c'est la mort sans en avoir l'r. »

Je viens d'apprendre la disparition de Michel Arrivé. C'est bien trop tôt mais il paraît que c'est comme ça. C'est comme ça mais pour moi ça passera toujours mieux avec des mots, alors des mots en voici.
« Le mot, c'est la mort sans en avoir l'r. », non ça n'est pas de moi – et je le regrette. Car bien au-delà du très joli jeu de lettres cela dit bien tout ce qui à mes yeux est en jeu dans le langage. Ces mots sont de la main d'Adolphe Ripotois, l'écrivain méconnu dont Alfred Hellequin écrit la biographie dans les Remembrances du vieillard idiot, non le poème de Rimbaud mais le premier roman de Michel Arrivé, paru en 1977.
Michel Arrivé a donc écrit des romans ? Je n'en savais rien moi-même lorsque je l'ai rencontré à la Fête de l'Humanité, il y a une dizaine d'années. Pour moi, outre le Bescherelle dont il assurait la publication, Michel Arrivé était surtout le spécialiste de Jarry dont il a assuré l'édition dans la Pléiade (je me rappelle son œil surpris quand je lui ai mentionné son article « Structuration et destruction du signe dans quelques textes de Jarry » paru chez Larousse en 1972) et bien sûr le professeur de linguistique, auteur notamment de la Grammaire d'aujourd'hui qui a fait les beaux jours de l'étudiant en lettres que je fus et de pas mal d'autres.
C'était Une très vieille petite fille qui l'amenait au Village du Livre de la Fête de l'Huma, un roman où la mort et le mot encore étaient en jeu, puisque la narratrice n'aboutissait au livre qui nous était donné à lire que par la « désécriture » des registres qu'elle avait tenus durant sa vie entière, et ce dans l'espoir de prolonger sa longévité jusqu'à, pourquoi pas, l'immortalité.
Puis nous avons pris l'habitude de nous lire et Michel Arrivé m'avait fait l'honneur d'un très bel article sur Liquide dans lequel il était le premier, je ne m'en suis pas étonné, à noter l'effacement aussi discret que possible de la personne grammaticale du récit que je tentais d'y mettre en œuvre. Ecrire sur les livres de l'autre était une manière plus sûre d'en parler – j'ai moi-même publié sur ce blog quelques articles à propos notamment de ses romans suivants, également parus aux excellentes éditions Champ vallon : La Walkyrie et le professeur, Un bel immeuble, L'Homme qui achetait les rêves, vous pouvez cliquer –, une manière plus sûre pour nous d'en parler, disais-je, que d'attendre notre prochaine rencontre car il faut bien confesser que lors de celles-ci nous parlions assez peu de littérature, ni même de linguistique (et pourtant vous savez, ou au moins vous devinez combien la linguistique a pu me passionner et me passionne encore) car un autre sujet que nous avions en commun l'emportait toujours : la mycologie. A chaque fois que nous nous sommes rencontrés, nous avons toujours fini par parler de champignons. C'était un autre point commun, fort, qui nous rassemblait ; nous nous étions d'ailleurs fait la remarque que lui comme moi, nous avions goûté à peu près autant d'espèces différentes que notre vie comptait d'années. Comme il en avait une petite trentaine de plus que moi, il conservait largement l'avantage. Les champignons jouent d'ailleurs un rôle non négligeable dans certains de ses romans, aux côtés des rêves, au côté des mots – de la conscience des mots.

Mes pensées accompagnent sa famille, mes vœux accompagnent ses romans.

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