samedi 15 août 2015

avalé le drapeau




Le onze novembre, les Alliés sont entrés dans la ville. Elégants, bien nourris, fumant des cigarettes parfumées. Pour nous mettre à la page, nous apprîmes La Madelon.

Il y avait des gens qui ne nous envoyaient pas dire que nous étions des traîtres et des accapareurs, aussi dûmes-nous déménager précipitamment.

Jalousie !

La vérité est que nous nous montrâmes à la hauteur des circonstances. On était, avant tout, tricolores et on le fit bien voir.

De grandes heures sonnaient à l’horloge de l’Histoire. Pour le retour triomphal des héros, nous étions accrochés sur une échelle à vingt francs et mêlions nos pleurs, ma mère et moi.

Ce fut un défilé mémorable.

En tête, le Roi-Chevalier et la famille royale. Tous à cheval.

« Vive le Roi ! Vive la Reine ! »

Et après, les petits soldats, tous les petits soldats qui restaient.

« Vivent les petits soldats ! »

Suivaient les nègres, les Arabes, les Canadiens, les Portugais…

« Vivent les nègres ! »

Les tanks, les canons…

« Et vivent les tanks ! »

A la fin, nous avions la gorge irritée. Dans la soirée, la foule a défoncé les vitrines des vendus notoires et rasé la tête d’une douzaine de prostituées de la rue Saint-Laurent, qui avaient commercé de leurs charmes avec les vaincus. On en a déshabillé quelques-unes en pleine rue. Quelle rigolade !

Des patriotes exaltés opinèrent qu’il eût été bon de les livrer à la flamme purificatrice du bûcher, mais cette idée ne fut pas retenue.

On avait tous avalé le drapeau, avec la hampe.



Henri Calet, La belle lurette.

(Et on en profite pour saluer La Belle Lurette.) 


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