dimanche 28 septembre 2014

Relire Goldberg : Variations de Josipovici



J’ai relu Goldberg : Variations, de Gabriel Josipovici. Je l’avais déjà lu tout récemment, et j’ai bien d’autres livres à lire, mais il fallait que je le relise. La première fois, je ne l’avais pas lu dans de bonnes conditions. Mais lit-on jamais dans de bonnes conditions ? Comment les conditions pourraient-elles vraiment être bonnes ? Les conditions extérieures, bien sûr, on peut essayer de les améliorer. Mais on sait bien que la lecture est surtout tributaire de conditions intérieures au lecteur, à propos desquelles celui-ci ne peut à peu près rien. Bref. J’avais besoin d’un prétexte pour le relire, je l’ai relu.

Comme je m’y attendais, ce n’est pas exactement le même livre, que j’ai lu. Ballantyne, par exemple, pour prendre un exemple, plutôt, vous savez, l’ami de Westfield, eh bien il y jouait cette fois-ci un rôle plus effacé. Je vous dis cela pour le seul plaisir de vous le dire, car ça n’a aucun sens, pour vous. Ça n’a de sens que pour celui qui a fait cette première lecture Goldberg : Variations, une lecture singulière qui malgré les mauvaises conditions mériteraient un nom propre, puis cette autre lecture également singulière, dans d’autres conditions que j’ai souhaitées meilleures et qui sans doute l’ont été, jusqu’à un certain point. Jusqu’à un certain point que j’ai du mal à dépasser et que je pourrais appeler l’oubli d’un autre moi-même, qui quand il lit ne cesse d’écrire encore. Vous voyez ? Oui, là, vous voyez ; ça ne fait pas l’ombre d’un doute.

Une deuxième lecture, donc. Avec, tiens, c’est tout à fait anecdotique car après tout Ballantyne n’est qu’un personnage secondaire parmi beaucoup d’autres, un relatif effacement de sa présence par rapport à la première lecture. J’aurais sans doute pu trouver une autre différence entre ces deux lectures, elles sont pléthore, mais c’est la première qui, curieusement, m’a traversé l’esprit. (Il faudrait quand même demander à des personnes qui viendraient juste de terminer leur deuxième lecture de Goldberg : Variations si elles ont remarqué elles aussi un relatif effacement de Ballantyne dans cette deuxième. Après tout il y a peut-être quelque chose dans le texte même qui induit cet effacement progressif de Ballantyne. Après tout Westfield et Ballantyne n’ont plus grand-chose à se dire.)

En relisant Goldberg : Variations, j’ai eu plus nettement encore l’impression par moment de lire à travers les pages. Je crois que je l’avais déjà la première fois, mais cette fois c’était plus net encore. Mais dire cela n’a aucun intérêt : Goldberg : Variations est écrit pour qu’on lise à travers les pages. Qu’on lise ce qu’on est en train de lire en même temps qu’on relit ce qu’on a déjà lu quelques pages auparavant. Et ce qu’on lira quelques pages plus loin et qu’on a déjà lu dans une précédente lecture.

Je me demande si Gabriel Josipovici n’a pas glissé l’idée subliminale (car littéralement je ne l’ai pas trouvée mais ça ne veut rien dire) l’idée subliminale de trente lectures successives. Trente variations de lecture.

En relisant Goldberg : Variations j’ai eu envie de choisir un autre extrait pour vous. Ou plutôt de laisser un extrait s’imposer. Celui-ci est à la page 269, c’est le Wander-Artist de Paul Klee qui naturellement à ce moment-là n’est plus seulement le Wander-Artist de Paul Klee qui parle. Ça n’a rien à voir avec les propos décousus que j’ai tenus plus haut. Ou peut-être que si :



« Le monde ? Quel monde ? Le monde que vous pensiez connaître se gauchit à mon passage et se reforme de manière inattendue. Ce n’est pas le monde que vous connaissiez, mais pas plus d’ailleurs que l’est le monde autour de vous. S’il avait pu être ainsi alors il n’aurait pas eu besoin d’être celui-là, mais il fallait bien qu’il soit d’une manière ou l’autre.

Vous n’écoutez pas ce que je dis. Vous êtes trop occupés à m’observer passer de l’autre côté, un bras levé pour saluer. Et c’est ainsi que cela doit être, car ce que je dis n’a pas de signification, on ne peut même pas dire que je le dis, seulement que je forme les mots des autres avec ma bouche, et ce que vous avez entendu, vous ne l’avez pas vraiment entendu, ce que vous avez vu, vous ne l’avez pas vraiment vu. Et pourtant me voici, en route, bras levé pour saluer, et puis je ne suis plus. »



Voilà. Mais peut-être ne savez-vous pas vraiment quel est ce livre, Goldberg : Variations, que je viens de relire. Peut-être venez-vous juste de tomber sur ce blog et aimeriez en savoir plus. Si vous cliquez ici, vous tomberez sur tous les billets de ce blog consacrés à Gabriel Josipovici. Mais vous pouvez aussi avoir envie de lire l’avis d’un libraire, et dans ce cas allez donc faire un tour chez Charybde ou chez Ptyx. Et pendant que vous y êtes lisez aussi ce qu’en dit Jacques Josse sur Remue.net et Christophe Kantcheff si vous êtes abonné à Politis. Entre autres. Allez, bonnes lectures.

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